La toponymie relève de l’étude des noms de lieu. Le but est de rechercher leur signification et leur origine ainsi que leurs modifications au cours des âges. L’amalgame des peuples et donc la superposition des langages dans une même région font que ces noms ont subi des transformations et des déformations qui rendent délicates ces recherches. Les philologues ont pu, dans un grand nombre de cas, donner l’étymologie et le sens de ces toponymes qui fournissent des lumières précieuses sur les étapes de l’occupation du sol. Comme nous le rappelle Paul Guichonnet , « les enseignements de la toponymie demeurent souvent à l’état d’hypothèses et tous les noms de lieux ne peuvent être élucidés mais, malgré leur caractère conjectural, et sans leur prêter une importance absolue, ils sont, jusqu’au seuil de la période contemporaine, les seules indications dont nous disposions, bien souvent ».
Quelle plus belle interprétation de l’origine du mot Voirons, cette montagne qui porte notre village que la suivante. Du haut de ce perchoir, on peut remarquer que notre montagne fait un angle. En partant du côté de St-Cergues pour se rendre à l’autre bout sur les communes de Bonne-Fillinges, les chemins de la crête dessinent un grand arc de cercle. Depuis cette crête, on peut s’arrêter souvent contempler cette vue à 360° sur le Chablais, le Genevois, le Faucigny. Cet effet panoramique, cette capacité offerte de « voir-rond » aura donner de belles idées à certaines. Sottise pour touriste diront certains. Beaucoup plus prosaïquement, il faut comme souvent, retrouver l’origine chez les anciens, dans leur patois que deux siècles d’impérialisme culturel et social ont pratiquement éliminé. Une approche plus sérieuse dira que les mots patois Ewoeron ou Ewèrô ont une origine celtique ou germanique. La racine Eva qui se retrouve également dans le nom d’Évian indiquerait la présence d’eau sur un site montagneux. Et il est vrai que la constitution géologique d’Ewoeron en fait une véritable montagne d’eau, un réservoir qui alimentait d’ailleurs Genève par un aqueduc durant l’époque romaine.
On a attribué aux Burgondes la paternité d’un grand nombre de lieux savoyards, spécialement ceux qui se terminent par inge, déformation du germanique ingos. Cette origine est combattue par E. Muret pour l’attribuer à un nom d’homme gallo-romain en anus puis icus. Ainsi, Lucinges viendrait de Lucianus, Fillinges de Filianus (Filenio en 1012). Ch. Marteaux pense qu’à l’origine, c’était une villa Lucianicum, fondée par Lucianus. Paul Aebisher voit une origine mixte des burgondes latinisés, d’autres pensent à des racines celtiques encore plus anciennes.
La forme la plus antique du nom de notre village, attestée en 1015 sur la carte de St-Hugues est Luciniangum. Plus tard Lucingium et Lucinju au 13ème siècle. G.R. Wipf propose une autre hypothèse. Il pourrait aussi s’agir d’un domaine burgonde (ingen) au lieu dit Lug/Los, l’un des innombrables lieux consacrés à Lug, dieu celte, d’où Los-Ingen. Certainement issu d’une racine gallo-romaine, ces toponymes ont probablement connu l’influence germanique que l’on retrouve dans la terminologie inge. Ces noms sont d’ailleurs courants dans la région : Alinge, Arculinge, Boisinge, Boringe, Cursinge, Fillinge, Larringe, Matringe, Mesinge, Taninge, Paconinge, Polinge, Puplinge, Presinge, Sillinge, etc.…
Une autre version, certainement plus fantaisiste, attribue à Lucinges les racines latine « Lux » (la lumière) qui aurait pour origine l’exposition privilégiée du village au soleil.
Ce qu’il y a de certain, c’est que depuis le 11ème siècle, le nom de lieu Lucinge s’écrit sans le « s » final, comme une nom de famille actuel. On le trouve affublé de « s » d’abord à la révolution, puis, couramment, dans les actes municipaux dès décembre 1862. Certains diront qu’il s’agit là d’une aberration et qu’il faut rétablir l’orthographe originale, celle qui correspond à l’héritage historique millénaire de notre commune. Mais ce « s » nous rappelle aussi que l’histoire est en marche et que les noms ne cessent d’évoluer.